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Rendre l'impossible possible

Une interview duo d'Andrea Bonaveri, dirigeant de Bonaveri, et d'Emma Davidge directrice créative de Chameleon Visual.

Il y a des rencontres qui ont la capacité de laisser une impression profonde sur la vie des gens, ainsi que sur les choses, les lieux, l'histoire des entreprises et parfois, même dans l'histoire d'une industrie entière.

Cela vaut pour la collaboration et l'harmonie que l'on trouve dans la relation entre Andrea Bonaveri et Emma Davidge; le premier, PDG de Bonaveri, la seconde, directrice créative de Chameleon Visual.

Elevé dans l'univers du mannequin, et suivant les traces de sa famille, Andrea a su assurer la relève de l'entreprise.

Londonienne, Emma a commencé à travailler très tôt dans le secteur de l'identité visuelle en appliquant sa sensibilité esthétique à la création de concepts de vitrines.

Ce talent naturel allié à une forte détermination qui a évolué après plusieurs années d'expérience en freelance ont conduit Emma à créer Chameleon Visual, un studio de création qui compte plusieurs dizaines de collaborations avec les plus grandes figures du monde de la mode.

Depuis vingt ans, Chameleon produit des concepts visuels distinctifs pour les plus grandes marques des secteurs du luxe et de la mode.

Avec une liste de clients impressionnante et sous la direction d'Emma, ​​Chameleon s'est fait un nom grâce à son approche imaginative de l'identité visuelle, des vitrines aux décors de catwalks, des expositions aux événements et aux pop-up stores.

C'est d'ailleurs grâce à ces projets que les chemins de Bonaveri  et d'Emma Davidge se sont croisés.

Ce qui a commencé comme une simple rencontre professionnelle, Bonaveri fournissant des mannequins pour les marques dont Davidge conçoit les vitrines, a petit à petit pris une toute autre forme.
Chaque fois qu'Emma travaillait sur un projet particulièrement complexe utilisant des formes, des structures, des positions et des effets de scène innovants, elle se tournait vers Bonaveri.

C'est ainsi que, dans le sens ludique de la formule, l'impossible est devenu possible.
Ces visions impossibles qu'Emma conçoit pour donner âme aux projets d'une marque ne peuvent devenir réalité que dans l'atelier de sculpture de Bonaveri, son atelier de couture et dans son savoir faire.

C'est pourquoi, si d'un côté il y a une directrice artistique visionnaire qui repousse les limites de l'imaginaire, de l'autre il y a un entrepreneur amoureux des défis, passionné par tout ce qui peut réduire la frontière entre l'ordinaire et l'extraordinaire.

Emma Davidge et Andrea Bonaveri posant devant notre dernière collection Obsession

Comment vous êtes-vous rencontrés?

Emma Davidge: Nous avions fait quelques projets pour Louis Vuitton où nous avions besoin de mannequins acrobates; nous avons travaillé sur deux campagnes de vitrines, Circus et EPI Magic.
C'était la première fois que je venais à l'usine. A cette époque, je travaillais en tant que consultante. Lorsque l'on m'a donné le projet de l'exposition Louis Vuitton au Louvre, j'avais besoin d'un mannequin sur mesure ... Et je ne me souviens pas pourquoi, mais j'ai choisi des mannequins articulés. J'essaie de me souvenir pourquoi je les ai choisis ... Ah, parce que je cherchais une variété de poses représentant les différents aspects du cirque. Plutôt que de faire 20 mannequins sur mesure, j'ai choisi un mannequin articulé pouvant être manipulé dans différentes poses ... et l'idée est venue d'une petite poupée maquette! Donc, je suis venue ici, à Cento, et j'ai montré le projet à Andrea - et [en regardant Andrea] ta réaction a été plutôt cool. Tu t'en souviens ?
Andrea Bonaveri: Non!
Emma: Tu ne te souviens pas quand je suis venue ici?!
Andrea: Je me souviens que tu es venue ici mais je ne me souviens pas de ma réaction.
Emma: Tu étais terrifié, crois-moi. Surtout quand nous avons parlé du calendrier. Le truc, c'est que le mannequin n'existait nulle part, nous sommes parti de zéro. Nous devions comprendre comment fabriquer ce mannequin articulé à taille réelle et comment nous allions pouvoir faire en sorte qu'il tienne ses positions.
Nous nous sommes retrouvés avec deux versions: une entièrement articulée et une avec de fausses jambes articulées, car il était impossible à l'époque de faire tenir le mannequin à cause de son poids.
Elle avait une variété de têtes, fabriquées à Londres par mon sculpteur: des têtes d'animaux, une tête de fumée, une tête ballon, une tête boule disco. Il y avait beaucoup de têtes incroyables et décalées qui étaient faites sur mesure. Et puis c'était la collaboration qui a rassemblé tout le monde. Marco [Marco Furlani, sculpteur de Bonaveri] est venu à Paris et il a dû nous aider à les assembler car nous n'en avions jamais installé de semblables!

Mannequins articulés sur mesure pour Louis Vuitton

Et quand était-ce?

Andrea: 2012.
Emma: Je suis tellement contente que tu t'en souviennes [Elle rit].

Et puis vous avez invité Emma à collaborer sur d'autres projets?

Andrea: Je pense qu'à cette époque une amitié est née et nous avons commencé à collaborer sur d'autres projets oui.
Emma: Nous avons fait les mannequins Speedy, avec les têtes magnétiques en forme de sac. Nous l'avons fait lorsque Louis Vuitton a ouvert sur Bond Street à Londres.
Andrea: Et puis pour Bailly, nous avons fait des mannequins qui pouvaient se tenir sur des vélos.
Emma: J'ai oublié ça! Nous avons aussi fait des jambes similaires sur mesure pour Fendi. Andrea est le meilleur au monde pour travailler sur du sur-mesure, il peut à peu près tout faire.
Andrea: N'exagérons rien. Elle est vraiment la meilleure du monde.

C'est à dire?

Andrea: Je ne sais pas... Si en fait, je sais. Quand elle conçoit un nouveau projet, c'est vraiment unique.

Unique en quel sens?

Andrea: L'unicité et la singularité comptent beaucoup pour moi. Chaque fois qu'Emma m'apporte un projet, je me demande comment elle a pu imaginer une chose pareille.

«Les mannequins racontent toute l'histoire. L'intention première c'est que quiconque regarde au travers d'une vitrine puisse avoir une lecture de ce qu'il s'y passe, se réapproprier le fantasme.» Emma Davidge

Alors Emma, comment faites vous?

Emma: Je ne sais pas! Je peux en revanche vous dire comment je travaille. Je suis une conteuse visuelle et ma mission consiste à délivrer une histoire qui procurera des émotions, que ce soit à un enfant ou à un adulte. Peu importe la langue qu'ils parlent et où qu'ils se trouvent dans le monde, j'aime penser qu'ils peuvent regarder l'histoire que je raconte et la comprendre.
C'est comme être un acteur silencieux sur scène. C’est ainsi que je le vois.

Le mannequin est lui aussi un acteur silencieux sur scène.

Emma: Oui, c'est même l'acteur principal. Les mannequins racontent toute l'histoire. L'intention première c'est que quiconque regarde au travers d'une vitrine puisse avoir une lecture de ce qu'il s'y passe, se réapproprier le fantasme. En tout cas c'est cela qui m'a attiré lorsque j'étais enfant.
Le week-end, je me tenais devant les vitrines des magasins avec mon père, le visage pressé contre le verre. Nous attendions ma mère à l'extérieur et j'inventais l'histoire des mannequins; que voulaient elles porter? Ou allaient elles? Je travaille aujourd'hui encore en exploitant cette technique.

Ensuite, êtes-vous allé dans une école spécialisée dans le visual merchandising?

Emma: Non, je ne l'ai pas fait. J'ai quitté l'école à 16 ans et j'ai été embauchée par le magasin Browns. Joan Burstein m'y a formé pendant trois ans, et la suite vous la connaissez.

Browns a toujours été en avance sur son temps.

Emma: Joan Burstein a développé le premier magasin multimarques avant tout le monde et j'ai eu la chance de travailler avec elle. Je suis vraiment reconnaissante que ce soit elle qui m'ait formée.

Et après Browns? Vous étiez très jeune, pas encore 20 ans?

Emma: Oui! Après Browns, je suis allée chez Selfridges et j'ai beaucoup appris sur le merchandising de grands magasins. J'y suis restée pendant environ trois ans, puis j'ai déménagé en Italie, où j'avais beaucoup de clients multimarques comme Romeo Gigli, Genny, Moschino ... Je montais leurs vitrines en freelance et voyageait en Europe le reste du temps.
Puis je suis retourné à Londres ... et qu'est-ce que j'ai fait? [Elle pense] Ah, je suis allée travailler pour Jigsaw, où je suis devenue assistante du directeur créatif. Puis, un jour, je suis partie et j'ai créé ma propre entreprise. J'ai créé Chameleon Visual en 2004.

Et vous avez commencé à collaborer avec les grandes entreprises comme Louis Vuitton, Fendi… puis Bonaveri est entré en jeu.

Emma: Bonaveri a toujours été dans le jeu car j'ai toujours utilisé des mannequins Rootstein ou Bonaveri.

Et maintenant vous concevez du Schläppi et vous collaborez également sur le nouveau mannequin Twiggy. Comment est-elle née?

Emma: Andrea et moi avons eu une conversion il y a quatre ou cinq ans, alors que nous rentrions à Ferrara tard dans la nuit depuis le showroom de Milan. J'ai dit à Andrea: "Peut-être que tu devrais acheter Rootstein!" Il s'agit d'un voyage en voiture de deux ou trois heures, et nous avons beaucoup parlé de Rootstein mais la conversation s'est alors terminée. Plus tard, quelques années plus tard, Andrea a dit un jour: "Oh, j'ai des nouvelles!" Et oui, il était en train d'acheter Rootstein, ce qui était très excitant. Pour Twiggy, j'ai été en charge du style et Andrea a fait l'essentiel de la collection.

Collection Schlappi 6000 "Aloof"

Pour Bonaveri, vous avez conçu Aloof, Tribe et Obsession qui vient tout juste d'être lancée. Vous pouvez nous en dire plus à propos de cette dernière collection?

Emma: Schläppi a un ADN singulier et j'adore l'une des toutes premières créations que j'ai surnommées «le singe» car sa pose me fait penser à un singe. Il y a une beauté et une élégance dans ses doigts, membres et cou allongés… elle est magnifique. Et lorsque vous parcourez également les pièces d'archives, que vous ne voyez pas dans l'usine, les moules, les visages et les lèvres sont généralement très maladroits, ce que je trouve très attrayant.
Quand j'ai regardé les mannequins Schläppi originaux, je voulais vraiment les traduire et les inscrire dans notre temps et créer des mannequins avec la bonne hauteur, la bonne taille mais toujours avec cette beauté maladroite pour... quelque chose que les gens veulent acheter et qui sera intemporel.
Lorsque nous avons créé Aloof, j'ai été inspirée par les années 40 et 50, puis avec Obsession, nous sommes entrés dans les années 70. Pat Cleveland, Jerry Hall, Grace Jones, Diana Ross... J'ai étudié de plus près la grande époque du Studio 54, quand toutes ces icônes passaient du temps ensemble à danser. C'est de là que viennent tout les inspirations de  mouvement et l'attitude d'Obsession.

Intemporel vous disiez plus tôt, dans une industrie qui par définition représente tout le contraire.

Emma: J'aime croire qu'un jour, dans cent ans peut être, quelqu'un parcourra à nouveau les archives et en retirera nos pièces. J'aime croire que cette personne sera aussi excité par elles que lorsque je regarde le premier Schläppi; J'aime penser que quelqu'un fera perdurer l'héritage Schläppi et revienne un jour aux pièces qu'Andrea et moi avons créées. J'aimerais que les gens puissent dire: "Wow, incroyable!" Regardez la Schlappi 2200: quel âge a-t-elle maintenant?
Andrea: Schläppi date du début des années 1970.
Emma: Elle a donc environ 50 ans. Vous la regardez maintenant et elle est toujours en vitrine, elle est toujours là.
Andrea: C'est le mannequin emblématique, c'est "Le Mannequin", aucun autre mannequin n'est aussi célèbre et aussi réussi et unique.
Pour en revenir à la nouvelle collection Obsession, je voudrais ajouter une note concernant leur pose: on observe depuis plusieurs années une tendance à la position "petit soldat", on a voulu créer l'exact opposé de cette rigidité.

Vous avez pris un risque.

Andrea: Il y a une prise de risque dans chaque nouvelle collection. Lorsque nous avons commencé à concevoir Aloof, le marché était complètement différent, personne n'avait fait de mannequin comme celui-là auparavant.
Emma: Avec Aloof, j'avais une obsession pour les jumeaux. J'étais une frustrée de la symétrie depuis le début de ma carrière, je ne la trouvais nulle part: si je voulais deux mannequins dos à dos, on leur ferait regarder le mur et non la rue ou la galerie. Alors avec Aloof nous avons rendu possible cette symétrie.
Dès son lancement, Aloof a été un succès commercial, c'était incroyable! J'ai d'abord dit à Andrea: "Alors ne vous inquiétez pas si elle ne se vend pas pendant les trois premières années, cela prend du temps", mais nous les vendions avant même d'avoir fini de sculpter la collection. Et puis Max Mara les a lancés à l'échelle mondiale, puis ça a explosé.

Pourquoi Emma voulait-elle le titre de cette interview "Rendre l'impossible possible?"

Emma: Parce que la plupart du temps, quand j'ai une idée, ma première réaction est "Oups, ça va être difficile", mais ensuite je viens ici et Andrea me regarde et me dit "OK, allons-y!" J'aime sa bravoure.

Vous êtes donc les complices idéals?

Emma: Nous nous poussons l'un l'autre, nous sommes très similaires à bien des égards et nous sommes passionnés par ce que nous faisons. J'ai beaucoup de respect pour lui, dans ce qu'il fait.
Andrea: Il y a une bonne synergie entre nous car j'ai l'expérience et elle la vision. Chaque fois que nous faisons un projet, je me dis «c'est le dernier». Mais je me rends compte que ce n'était que le début de quelque chose à venir.

Interview menée par Caterina Lunghi.

Il y a des rencontres qui ont la capacité de laisser une impression profonde sur la vie des gens, ainsi que sur les choses, les lieux, l'histoire des entreprises et parfois, même dans l'histoire d'une industrie entière.

Cela vaut pour la collaboration et l'harmonie que l'on trouve dans la relation entre Andrea Bonaveri et Emma Davidge; le premier, PDG de Bonaveri, la seconde, directrice créative de Chameleon Visual.

Elevé dans l'univers du mannequin, et suivant les traces de sa famille, Andrea a su assurer la relève de l'entreprise.

Londonienne, Emma a commencé à travailler très tôt dans le secteur de l'identité visuelle en appliquant sa sensibilité esthétique à la création de concepts de vitrines.

Ce talent naturel allié à une forte détermination qui a évolué après plusieurs années d'expérience en freelance ont conduit Emma à créer Chameleon Visual, un studio de création qui compte plusieurs dizaines de collaborations avec les plus grandes figures du monde de la mode.

Depuis vingt ans, Chameleon produit des concepts visuels distinctifs pour les plus grandes marques des secteurs du luxe et de la mode.

Avec une liste de clients impressionnante et sous la direction d'Emma, ​​Chameleon s'est fait un nom grâce à son approche imaginative de l'identité visuelle, des vitrines aux décors de catwalks, des expositions aux événements et aux pop-up stores.

C'est d'ailleurs grâce à ces projets que les chemins de Bonaveri  et d'Emma Davidge se sont croisés.

Ce qui a commencé comme une simple rencontre professionnelle, Bonaveri fournissant des mannequins pour les marques dont Davidge conçoit les vitrines, a petit à petit pris une toute autre forme.
Chaque fois qu'Emma travaillait sur un projet particulièrement complexe utilisant des formes, des structures, des positions et des effets de scène innovants, elle se tournait vers Bonaveri.

C'est ainsi que, dans le sens ludique de la formule, l'impossible est devenu possible.
Ces visions impossibles qu'Emma conçoit pour donner âme aux projets d'une marque ne peuvent devenir réalité que dans l'atelier de sculpture de Bonaveri, son atelier de couture et dans son savoir faire.

C'est pourquoi, si d'un côté il y a une directrice artistique visionnaire qui repousse les limites de l'imaginaire, de l'autre il y a un entrepreneur amoureux des défis, passionné par tout ce qui peut réduire la frontière entre l'ordinaire et l'extraordinaire.

Emma Davidge et Andrea Bonaveri posant devant notre dernière collection Obsession

Comment vous êtes-vous rencontrés?

Emma Davidge: Nous avions fait quelques projets pour Louis Vuitton où nous avions besoin de mannequins acrobates; nous avons travaillé sur deux campagnes de vitrines, Circus et EPI Magic.
C'était la première fois que je venais à l'usine. A cette époque, je travaillais en tant que consultante. Lorsque l'on m'a donné le projet de l'exposition Louis Vuitton au Louvre, j'avais besoin d'un mannequin sur mesure ... Et je ne me souviens pas pourquoi, mais j'ai choisi des mannequins articulés. J'essaie de me souvenir pourquoi je les ai choisis ... Ah, parce que je cherchais une variété de poses représentant les différents aspects du cirque. Plutôt que de faire 20 mannequins sur mesure, j'ai choisi un mannequin articulé pouvant être manipulé dans différentes poses ... et l'idée est venue d'une petite poupée maquette! Donc, je suis venue ici, à Cento, et j'ai montré le projet à Andrea - et [en regardant Andrea] ta réaction a été plutôt cool. Tu t'en souviens ?
Andrea Bonaveri: Non!
Emma: Tu ne te souviens pas quand je suis venue ici?!
Andrea: Je me souviens que tu es venue ici mais je ne me souviens pas de ma réaction.
Emma: Tu étais terrifié, crois-moi. Surtout quand nous avons parlé du calendrier. Le truc, c'est que le mannequin n'existait nulle part, nous sommes parti de zéro. Nous devions comprendre comment fabriquer ce mannequin articulé à taille réelle et comment nous allions pouvoir faire en sorte qu'il tienne ses positions.
Nous nous sommes retrouvés avec deux versions: une entièrement articulée et une avec de fausses jambes articulées, car il était impossible à l'époque de faire tenir le mannequin à cause de son poids.
Elle avait une variété de têtes, fabriquées à Londres par mon sculpteur: des têtes d'animaux, une tête de fumée, une tête ballon, une tête boule disco. Il y avait beaucoup de têtes incroyables et décalées qui étaient faites sur mesure. Et puis c'était la collaboration qui a rassemblé tout le monde. Marco [Marco Furlani, sculpteur de Bonaveri] est venu à Paris et il a dû nous aider à les assembler car nous n'en avions jamais installé de semblables!

Mannequins articulés sur mesure pour Louis Vuitton

Et quand était-ce?

Andrea: 2012.
Emma: Je suis tellement contente que tu t'en souviennes [Elle rit].

Et puis vous avez invité Emma à collaborer sur d'autres projets?

Andrea: Je pense qu'à cette époque une amitié est née et nous avons commencé à collaborer sur d'autres projets oui.
Emma: Nous avons fait les mannequins Speedy, avec les têtes magnétiques en forme de sac. Nous l'avons fait lorsque Louis Vuitton a ouvert sur Bond Street à Londres.
Andrea: Et puis pour Bailly, nous avons fait des mannequins qui pouvaient se tenir sur des vélos.
Emma: J'ai oublié ça! Nous avons aussi fait des jambes similaires sur mesure pour Fendi. Andrea est le meilleur au monde pour travailler sur du sur-mesure, il peut à peu près tout faire.
Andrea: N'exagérons rien. Elle est vraiment la meilleure du monde.

C'est à dire?

Andrea: Je ne sais pas... Si en fait, je sais. Quand elle conçoit un nouveau projet, c'est vraiment unique.

Unique en quel sens?

Andrea: L'unicité et la singularité comptent beaucoup pour moi. Chaque fois qu'Emma m'apporte un projet, je me demande comment elle a pu imaginer une chose pareille.

«Les mannequins racontent toute l'histoire. L'intention première c'est que quiconque regarde au travers d'une vitrine puisse avoir une lecture de ce qu'il s'y passe, se réapproprier le fantasme.» Emma Davidge

Alors Emma, comment faites vous?

Emma: Je ne sais pas! Je peux en revanche vous dire comment je travaille. Je suis une conteuse visuelle et ma mission consiste à délivrer une histoire qui procurera des émotions, que ce soit à un enfant ou à un adulte. Peu importe la langue qu'ils parlent et où qu'ils se trouvent dans le monde, j'aime penser qu'ils peuvent regarder l'histoire que je raconte et la comprendre.
C'est comme être un acteur silencieux sur scène. C’est ainsi que je le vois.

Le mannequin est lui aussi un acteur silencieux sur scène.

Emma: Oui, c'est même l'acteur principal. Les mannequins racontent toute l'histoire. L'intention première c'est que quiconque regarde au travers d'une vitrine puisse avoir une lecture de ce qu'il s'y passe, se réapproprier le fantasme. En tout cas c'est cela qui m'a attiré lorsque j'étais enfant.
Le week-end, je me tenais devant les vitrines des magasins avec mon père, le visage pressé contre le verre. Nous attendions ma mère à l'extérieur et j'inventais l'histoire des mannequins; que voulaient elles porter? Ou allaient elles? Je travaille aujourd'hui encore en exploitant cette technique.

Ensuite, êtes-vous allé dans une école spécialisée dans le visual merchandising?

Emma: Non, je ne l'ai pas fait. J'ai quitté l'école à 16 ans et j'ai été embauchée par le magasin Browns. Joan Burstein m'y a formé pendant trois ans, et la suite vous la connaissez.

Browns a toujours été en avance sur son temps.

Emma: Joan Burstein a développé le premier magasin multimarques avant tout le monde et j'ai eu la chance de travailler avec elle. Je suis vraiment reconnaissante que ce soit elle qui m'ait formée.

Et après Browns? Vous étiez très jeune, pas encore 20 ans?

Emma: Oui! Après Browns, je suis allée chez Selfridges et j'ai beaucoup appris sur le merchandising de grands magasins. J'y suis restée pendant environ trois ans, puis j'ai déménagé en Italie, où j'avais beaucoup de clients multimarques comme Romeo Gigli, Genny, Moschino ... Je montais leurs vitrines en freelance et voyageait en Europe le reste du temps.
Puis je suis retourné à Londres ... et qu'est-ce que j'ai fait? [Elle pense] Ah, je suis allée travailler pour Jigsaw, où je suis devenue assistante du directeur créatif. Puis, un jour, je suis partie et j'ai créé ma propre entreprise. J'ai créé Chameleon Visual en 2004.

Et vous avez commencé à collaborer avec les grandes entreprises comme Louis Vuitton, Fendi… puis Bonaveri est entré en jeu.

Emma: Bonaveri a toujours été dans le jeu car j'ai toujours utilisé des mannequins Rootstein ou Bonaveri.

Et maintenant vous concevez du Schläppi et vous collaborez également sur le nouveau mannequin Twiggy. Comment est-elle née?

Emma: Andrea et moi avons eu une conversion il y a quatre ou cinq ans, alors que nous rentrions à Ferrara tard dans la nuit depuis le showroom de Milan. J'ai dit à Andrea: "Peut-être que tu devrais acheter Rootstein!" Il s'agit d'un voyage en voiture de deux ou trois heures, et nous avons beaucoup parlé de Rootstein mais la conversation s'est alors terminée. Plus tard, quelques années plus tard, Andrea a dit un jour: "Oh, j'ai des nouvelles!" Et oui, il était en train d'acheter Rootstein, ce qui était très excitant. Pour Twiggy, j'ai été en charge du style et Andrea a fait l'essentiel de la collection.

Collection Schlappi 6000 "Aloof"

Pour Bonaveri, vous avez conçu Aloof, Tribe et Obsession qui vient tout juste d'être lancée. Vous pouvez nous en dire plus à propos de cette dernière collection?

Emma: Schläppi a un ADN singulier et j'adore l'une des toutes premières créations que j'ai surnommées «le singe» car sa pose me fait penser à un singe. Il y a une beauté et une élégance dans ses doigts, membres et cou allongés… elle est magnifique. Et lorsque vous parcourez également les pièces d'archives, que vous ne voyez pas dans l'usine, les moules, les visages et les lèvres sont généralement très maladroits, ce que je trouve très attrayant.
Quand j'ai regardé les mannequins Schläppi originaux, je voulais vraiment les traduire et les inscrire dans notre temps et créer des mannequins avec la bonne hauteur, la bonne taille mais toujours avec cette beauté maladroite pour... quelque chose que les gens veulent acheter et qui sera intemporel.
Lorsque nous avons créé Aloof, j'ai été inspirée par les années 40 et 50, puis avec Obsession, nous sommes entrés dans les années 70. Pat Cleveland, Jerry Hall, Grace Jones, Diana Ross... J'ai étudié de plus près la grande époque du Studio 54, quand toutes ces icônes passaient du temps ensemble à danser. C'est de là que viennent tout les inspirations de  mouvement et l'attitude d'Obsession.

Intemporel vous disiez plus tôt, dans une industrie qui par définition représente tout le contraire.

Emma: J'aime croire qu'un jour, dans cent ans peut être, quelqu'un parcourra à nouveau les archives et en retirera nos pièces. J'aime croire que cette personne sera aussi excité par elles que lorsque je regarde le premier Schläppi; J'aime penser que quelqu'un fera perdurer l'héritage Schläppi et revienne un jour aux pièces qu'Andrea et moi avons créées. J'aimerais que les gens puissent dire: "Wow, incroyable!" Regardez la Schlappi 2200: quel âge a-t-elle maintenant?
Andrea: Schläppi date du début des années 1970.
Emma: Elle a donc environ 50 ans. Vous la regardez maintenant et elle est toujours en vitrine, elle est toujours là.
Andrea: C'est le mannequin emblématique, c'est "Le Mannequin", aucun autre mannequin n'est aussi célèbre et aussi réussi et unique.
Pour en revenir à la nouvelle collection Obsession, je voudrais ajouter une note concernant leur pose: on observe depuis plusieurs années une tendance à la position "petit soldat", on a voulu créer l'exact opposé de cette rigidité.

Vous avez pris un risque.

Andrea: Il y a une prise de risque dans chaque nouvelle collection. Lorsque nous avons commencé à concevoir Aloof, le marché était complètement différent, personne n'avait fait de mannequin comme celui-là auparavant.
Emma: Avec Aloof, j'avais une obsession pour les jumeaux. J'étais une frustrée de la symétrie depuis le début de ma carrière, je ne la trouvais nulle part: si je voulais deux mannequins dos à dos, on leur ferait regarder le mur et non la rue ou la galerie. Alors avec Aloof nous avons rendu possible cette symétrie.
Dès son lancement, Aloof a été un succès commercial, c'était incroyable! J'ai d'abord dit à Andrea: "Alors ne vous inquiétez pas si elle ne se vend pas pendant les trois premières années, cela prend du temps", mais nous les vendions avant même d'avoir fini de sculpter la collection. Et puis Max Mara les a lancés à l'échelle mondiale, puis ça a explosé.

Pourquoi Emma voulait-elle le titre de cette interview "Rendre l'impossible possible?"

Emma: Parce que la plupart du temps, quand j'ai une idée, ma première réaction est "Oups, ça va être difficile", mais ensuite je viens ici et Andrea me regarde et me dit "OK, allons-y!" J'aime sa bravoure.

Vous êtes donc les complices idéals?

Emma: Nous nous poussons l'un l'autre, nous sommes très similaires à bien des égards et nous sommes passionnés par ce que nous faisons. J'ai beaucoup de respect pour lui, dans ce qu'il fait.
Andrea: Il y a une bonne synergie entre nous car j'ai l'expérience et elle la vision. Chaque fois que nous faisons un projet, je me dis «c'est le dernier». Mais je me rends compte que ce n'était que le début de quelque chose à venir.

Interview menée par Caterina Lunghi.

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